La fausse commune
"- Toi et moi ne faisons qu'un.
- Oui, mais lequel?"
Les mots me manquent. Non pas que je ne les aie plus en moi mais la parole publique, le vocabulaire partagé, le discours entendu sont en rupture de sens.
Comment dire?
Au verbiage vide des responsables nationaux s'ajoute celui des journalistes et leurs raccourcis, les témoins calibrés, politiciens robotisés, montages d'images, experts redondants, statistiques orientées, sondages réductifs, etc.
Le faux devient vrai dans un monde trompeur.
On l'a constaté lors de la crise économique quand seuls les fautifs, -les banques- ont été secourus grâce aux fonds des victimes, les contribuables.
On pourrait le constater dans plein de domaines, sauf que l'habitude de la déformation du sens nous a hébétés.
Un truc simple: pourquoi envoyons-nous de jeunes hommes à des milliers de kilomètres pour tuer (ou se faire tuer par) de jeunes Afghans qui, chez eux, n'aiment évidemment pas les gens qui les bombardent et viennent leur dire: on va vous construire des écoles, c'est gentil non?
Pour perpétrer ce mythe de la libre démocracie dans laquelle nous vivrions, de la défense de libertés dont on peut se demander si nous les avons nous-memes.
On nous crée un tas de motivations ou d'arguments ahurissants.
Le fait est que nous payons pour tuer en raison de motifs:
- humanitaires, démocratiques, légauxs (ONU)
Ce n'est jamais un truc rapide, bénéfique, à la fois palpitant et soulageant.
Ll'argument, c'est donc qu'on ferait la guerre à l'autre par amour d'un autre autre: Make war for love.
Pendant que rien n'est fait pour secourir les centaines de radeaux de la méduse d'immigrants traversant la mer sur des coquilles, les morts éperonnés par les patrouilleurs italiens, les accords de Schengen foulés par la France. La catastrophe au Japon dont les conséquences se feront sentir pendant des années aurait dû nous faire vaciller (Tiens? Plus personne ne parle d'empêcher la sous-traitance dans cette industrie), mais vite le discours public propose un autre sujet.
A la place, guerre dans le pays du chocolat (un réglement qui aurait pourtant pu être réglé autrement, autrefois).
Puis ce fut "on a retrouvé la carcasse de l'avion", ensuite ce sera "les boîtes noires".
Il ne s'agît pas d'un complot mais d'une ritournelle pour nous, les crétins.
La parole officielle en démocratie devient un double vitrage qui nous isole de la misère du monde et nous fait accepter d'infliger le pire en notre nom, tout comme les taliban se servent d'un livre sacré pour excuser leurs horreurs.
Les micros nous assurent que l'exclusion est faite au nom de l'Union, l'écrasement du faible (celui qui n'a rien mais voit nos richesses) est essentielle pour les droits élémentaires de tous (nous, quoi).
Le spectacle constant dans nos rues d'uniformes armés de pistolets, tasers, mitraillettes, menottes, bâtons confirmerait que nous sommes protégés.
On nous dit que les jeunes dégradent l'espace public quand au contraire, en une participation sociale imprévue des énarques ils y expriment généralement l'angoisse et l'énergie de leur génération.
La liberté de religion ou d'athéisme exigerait même dorénavant de cacher nos convictions personnelles religieuses, politiques, morales (et certains plus que d'autres) au nom d'une nouvelle idole dont apparemment les "responsables" ignorent le sens: la laïcité (du grec laikos: le peuple).
Les mots dérapent, le sens glisse, la conscience se pète la gueule, la vérité est obscène.
Comment acceptons-nous cette torture du sens, notre bien commun pourtant?
Peut-on partager la vie, l'espoir, l'amour, la caresse, l'esprit de l'échange quand les mots nous ont été volés et corrompus par les strates politiques, commerciales, militaires, intellectuelles, parfois même artistiques?
Les films Brazil, District 9, le livre 1984 sont-ils des fictions?
Que dire encore?
Qu'entendez-vous?
Allo?
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