Un monde sans ailes
la vie en rase-mottes
"Ce palais dont l'arrogance
cotoyait le ciel jaloux
Et dont la salle d'audience
mettait les rois à genoux,
Nous y vîmes un ramier
sur les créneaux de l'enceinte
Qui roucoulait une plainte
incessante: Où? Où? Où? Où?"
Omar Kayyâm
L'autre jour j'ai eu la vision d'un ciel vide.
Enfin, pas totalement vide: il y avait des nuages.Des couchers de soleil. De la pluie.
Des traînées d'avions civils et militaires, la fumée des usines et des réacteurs nucléaires, un sac plastique qui virevoltait joyeusement, un bout de lune décroissante, une soucoupe pleine de petits hommes verts revenant de chez Tang Frères, des fils électriques haute tension.
Mais le ciel était vide d'oiseaux
Parce que, pendant que le prix de la volaille baisse à la vitesse du prix d'une vie humaine au Soudan, les oiseaux meurent par dizaines de millions.
On calcule que la centaine de millions d'oiseaux morts est déjà largement dépassée.
Dans un réflexe bien naturel, on s'effraye d'apprendre la mort de cygnes au bord du Danube tout en se rassurant de ce que ce ne sont que des bêtes à plumes.
Des trucs cons avec des becs.
L'être humain dans son monde d'informations globales a appris une nouvelle pratique de la panique: on flippe à la fois plus vite et par groupes de centaines de millions, voire de milliards de gens, réduisant d'autant notre perspective.
Oubliera t'on que les oiseaux furent libres?(traduisez "sauvages")
Plus de chants d'oiseaux pour annoncer le jour, la fin de la pluie, la tombée du soir, la ponte des oeufs, l'annonce que le territoire autour d'un nid est désormais délimité et défendu.
Plus de nid douillet.
Plus de hululement de chouette ou de hibou, adieu vol ondulant de l'engoulevent, trille du rossignol
Plus de tactac du pic-vert.
Plus de bébés largués par les cygognes, de Rama transporté par Garuda, plus de colombe de la paix..
Qui fécondera les fleurs?
Plus de fleurs, ou moins de variétés
Plus de guano sur la carosserie rutilante de ma limousine.
Plus de nanas avec des plumes dans le derrière. ça devenait rare depuis Zizi Jeammaire, mais il nous restait des grues avec des plumes d'autruche dans le derche plein les Folies (les Bergères, pas la Privée).
Faudra t'il alors ne lever les yeux que sur une absence?
Sur l'espace d'espèces à jamais attérées?
Enterrées?
Dans un monde où désormais l'élévation de vue et d'esprit vous fichera la crève?
Que se passe t'il dans ce monde où l'on observe et déplore la mort de poulets
qui ne vivent que parce qu'on les rôtit
et où pas la moindre pensée ne s'est expriméeface au danger d'extinction de ceux qui glissent entre deux airs et symbolisent plus que tout la liberté à l'état naturel?
Ceux qui, passant d'un continent à l'autre au gré des saisons ne nous regardent que comme autant de bestiaux plaqués au sol.
Comment ne pas voir que ce serait une fin de monde que de n'avoir plus l'ombre d'un vautour qui planerait sur nous?
Et vous, jolies mésanges, gros corbeaux, avez-vous pensé à un monde où ne subsisteraient que les espèces domestiques?
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