A corps perdu
dévidé
"Avec toi dans mon coeur je vaux plus que moi-même"
(ch'i t'ebbi nel cuor piu di me vaglio)
Michel-Ange, Sonnet à Tommaso Cavalieri
Celà fait un certain temps que nous conversons, argumentons, débattons et déblatérons; que nous nous envoyons mots doux, sulfureux, poésies, conférences, confessions, photos, chansons et acrimonies.
Un moment que nous échangeons des idées, partageons des convictions, confrontons des points de vue.
Un bail que nous nous prenons la tête, citons Alexandre le Bienheureux Grand, Conan Konrad le Barbare Lorenz, la relativité d'instinct Einstein etc etc
Bref environ un an qu'on se se caresse dans le sens du poil ou dans l'autre, qu'on se drague et se fait des bises, que ces dames allument ces messieurs qui de leur côté paradent dans tous les sens, ergots dressés et poil lustré. Intimité virtuelle.
Tout ça sans le plus petit atome à saisir.
Est-ce là ton corps?
Sans peau à toucher. Pas la plus simple once de chair à pétrir, à caresser, lécher, claquer, pincer, mordre ou tout bêtement.. à embrasser.
Comment nous autres, centaines d'adultes dont des dizaines ont laissés ici des mots, pouvons-nous vivre ensemble sans corps?
Je parlais l'autre jour des cerveaux envoyés dans les Multivers, coincés dans des super-scaphandres en forme de tambours de machine à laver mais finalement, est-ce qu'on n'est pas ici déjà en phase préparatoire?
Des cerveaux sans têtes?
Des élans sans coeur, alors?
Comment peut-on continuer à correspondre sans contact physique? Sans avoir même une idée de nos apparences, vos corps de déesses et nos corps de pas déesses? Souvenons-nous de Donidamy qui provoqua un lâcher d'hormones dans toutes les directions en se faisant passer pour la porteuse d'oestrogènes qu'il n'était pas?
Mais nous avons marchés parce que même derrière nos écrans, claviers, abstractions mentales et tout le bastringue, il y a ce corps qui nous tient, nous demande, nous impose, nous contraint et nous récompense.
Peut-on continuer longtemps comme ceci? Certains d'entre vous se sont rencontrés et plus, si affinités il y eût. Certaines ont disparu pour toujours dans la grotte de C., d'autres dans la principauté d'A. Certains ont été jetés dans la fosse au bas du lit de M., d'autres ont été emmenés à l'hopital après avoir tenté vainement de rattrapper les pédalantes gambettes de K,les claquements de la D, les battements de cils de Z...
Ou les invitations de J, les éclairs d'E
Et j'en passe.
Mais comment puis-je me passer de vous voir vous mouvoir?
Comment leblase peut-il ne jamais prendre corps?
Il faut bien pour celà que quelque chose de nouveau se soit passé dans le besoin que nous avons des autres.
Il faut bien que ces technologies nous aient fait perdre quelque chose en route, même si, c'est vrai (redite) ce blog a permis d'aider des gens qui ne sauront sans doute jamais que cette url existe, même si nos activités de blogueurs nous auraient permis d'évoluer, selon Mitra.
Même si parce que vous n'êtes pas n'importe qui, vous avez pu vous prolonger et réaliser des chôz.
Mais je me demande si au bout du bout nos cerveaux, nos yeux et nos doigts claviardant peuvent longtemps faire abstraction du corps d'autrui, sans devenir cinglés?
Et pour ceux qui étaient déjà cinglés en venant: encore plus perchés?
Et pour ceux qui étaient déjà en chemise à manches très très longues: gelées pour labos?
Ne devrions-nous pas nous quitter et nous rematérialiser?
Hmm? je vous pose la question, que je n'ai pas bien saisie moi-même.
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